Pour débattre des signes coloniaux dans l’espace public

Archer

Billet du cdH relatif à l’installation de la commission participative etterbeekoise « pour débattre des signes coloniaux dans l’espace public », le mercredi 9 février 2022

Ambiance plutôt décontractée pour l’ouverture de cette commission participative mixte (citoyens tirés au sort et représentants politiques) en ce mercredi 9 février 2022 dans la (magnifique – il faut le reconnaître-) salle du conseil communal. Certaines têtes sont connues, d’autres pas du tout. C’est tout l’intérêt d’un processus de ce type. Après un bref mot d’accueil, l’échevin qui remplace le bourgmestre passe la parole à Gisèle Mandaila, conseillère communale de l’opposition, auteure de la motion à la base de cette initiative, à qui la présidence de la commission a été confiée. Et l’échevin se retire, après avoir annoncé que le Collège ne participerait pas à cette commission, afin de lui laisser toute l’autonomie requise.

Un premier tour de table démontre la diversité de la composition de la commission. Aux côtés des représentants de chaque formation politique, se retrouvent des citoyens d’origine italienne, française, russe, ivoirienne, haïtienne… certains issus de familles attestant d’un passé colonial, d’autres non. Et les motivations sont tout aussi diverses. Certains ont du mal à vivre à proximité d’un environnement prestigieux – le Cinquantenaire – qui garde les traces d’un processus colonial violent, d’autres évoquent leur malaise à propos d’un parent qui a passé une partie importante de sa vie au Congo, d’autres encore sont motivés par les dangers d’une approche myopique qui consisterait à nier le passé et à en effacer toutes les traces. Les enseignants présents sont soucieux de transmettre aux jeunes ce pan d’histoire trop souvent occulté. Les défenseurs de la Cancel culture côtoient ici ses opposants. On y trouve également ceux qui veulent s’en tenir aux faits et non aux fantasmes. Bref, Etterbeek dans toute sa pluralité.

De mon côté j’ai exposé la nécessité de s’accorder, selon les mots du Pr Dassetto, sur un passé mémoriel commun. En insistant sur ce qualificatif de « commun ». Pour prendre un exemple concret, il semble en effet capital, en termes de cohésion sociale, de pouvoir regarder l’Archer situé rue du Front avec des références historiques qui soient porteuses de sens et acceptées aussi bien pour le belge dont la famille a été impliquée de près ou de loin dans la colonie (et il y en a beaucoup!), pour celui qui n’a aucun lien avec ce pan de notre histoire, que pour celui qui a des origines africaines ou, plus précisément encore, congolaises .

Après ce tour de table, les deux experts ont chacun pris la parole. Dans un premier exposé, Romain Landmeters (chercheur FNRS, historien, St Louis) a retracé le contexte dans lequel s’inscrit le travail de cette commission. Il a rappelé les multiples initiatives qui, depuis les cinquante ans de l’indépendance du Congo (2010) ont oeuvré à la prise de conscience des enjeux de la colonisation/décolonisation. En citant, bien sûr « Congo, une histoire », le magistral ouvrage de David Van Reybrouck, les polémiques sur les formes de racisme culturel (Zwarte Piet, les Noirauds désormais grimés en noir, jaune, rouge...), les faits sociaux comme les émeutes à Matongé, la réouverture du Musée Royale d’Afrique centrale, les débats sur les conditions de restitution du patrimoine, la mise sur pied de la commission parlementaire fédérale, les travaux et initiatives prises au niveau régional bruxellois… Il a plus longuement développé le contenu du prérapport de la Commission fédérale « Vérité et réconciliation » qui a démontré, entre autre, le caractère systémique de la violence qui caractérise l’oeuvre coloniale tout comme la continuité entre la période coloniale et la période actuelle.

Romain Landmeters a clôturé son exposé par une série de définitions, afin d’éviter les confusions entre colonisation et colonialisme, entre mémoire et histoire. La mémoire étant mouvante, adaptative, portée par un discours politique, idéologique, tandis que l’histoire s’attache à présenter une «  connaissance critique du passé, élaborée collectivement et contradictoirement par les historiens à l’aune d’une épistémologie et d’une méthodologie qui leur est propre ».

Lors de son exposé, Chantal Kesteloot, (ULB-CegeSoma), historienne spécialisée dans l’histoire des guerres et plus particulièrement de la toponymie bruxelloise (noms de rue et des espaces publics), a insisté sur les multiples fonctions -utilitaire, symbolique et culturelle - des noms de rue. Un nom permet, non seulement de s’orienter, se situer (fonction utilitaire) mais aussi de dévoiler un narratif, de faire vivre des formes de citoyenneté et de nationalisme. Des concepts qui évoluent avec le temps et les contextes. Ainsi, au lendemain de la première guerre mondiale, de nombreuses rues ont vu leur appellation modifiée (la rue des Germains est devenue la rue de l’Yser). A Etterbeek, commune qui compte la proportion la plus dense de rues dédicacées à la colonie et à la première guerre mondiale, il s’agit de pouvoir clarifier ce qui relève de manière claire et indiscutable de la colonie, de ce qui l’est moins ou de façon indirecte, mixte ou complexe. Et ce, en sachant que les ressentis pluriels sont d’autant plus forts que la lisibilité est moindre. Ce qui impose une clarification. Le boulevard Général Jacques, si l’on prend un exemple de référence mixte, renvoie surtout, dans la mémoire collective, à l’officier de la première guerre mondiale alors que son action au Congo belge reste peu connue.

Sur base de ce travail de clarification, une des questions auxquelles il conviendra de répondre sera de savoir si nous voulons ou non ou dans quelle mesure un espace public renouvelé, qui épouse la réalité multiculturelle bruxelloise (Bruxelles est la 2ème ville la plus multiculturelle au monde). L’oratrice souligne par ailleurs les grands absents de la toponymie actuelle : les femmes, les migrations, les colonisés.

La commission se clôture par une clarification de sa mission et de son mode de fonctionnement. Il s’agira de formuler des recommandations au conseil communal qui reste souverain pour prendre les décisions. Deux réunions sont encore prévues avant les congés d’été, deux réunions ensuite avant la fin de l’année. La prochaine réunion sera consacrée à l’exposé des pratiques déjà en cours ou en voie de l’être dans d’autres communes. La troisième réunion sera l’occasion d’échanges entre participants avec la création de sous-groupes de travail et la possibilité d’envisager des auditions.

André du Bus

Le 11 février 2022